L'un d'entre vous a publié un commentaire sur mon blog où il affirme que l'acte conjugal accompli durant les périodes infertiles n'est pas un péché du tout (pour celui des époux qui en fait la demande).
À vrai dire, l'enseignement de Saint Augustin et celui de St. Thomas d'Aquin vont à l'encontre de cette idée. Nous les avons déjà cités, mais rappelons seulement la citation du premier :
Autre chose cependant est de n'user du mariage que dans la seule vue d'avoir des enfants, ce qui est exempt de tout péché; autre chose est d'y chercher une volupté sensuelle, mais non avec une autre femme que la sienne, ce qui n'est qu'un péché véniel, parce que, bien que ce commerce n'ait pas pour but la génération des enfants, le plaisir qu'ils y cherchent ne les porte pas à mettre obstacle à cette génération, soit par un mauvais vœu (malum votum), soit par une action criminelle.
Saint Augustin, Du mariage et de la concupiscence,
1, 15, 17 ; CSEL 42, 229-230 ; Trad. Péronne, Ecalle Vincent.
Ici, il est clair pour St. Augustin qu'il n'y a qu'un seul cas où l'acte conjugal est dénué de toute faute vénielle : à savoir lorsqu'il est accompli pour la procréation et seulement pour cela. Sinon il y a péché véniel de la part de celui des époux qui en fait la demande (celui qui rend le devoir ne commet aucun péché). St. Thomas enseigne la même chose.
Les historiens profanes qui se sont penchés sur l'historique de l'enseignement de l'Église à ce sujet ont eu beau jeu de montrer qu'il y avait eu une forme d' "évolution", en ce sens que les papes et théologiens modernes (depuis Pie XI) ont de moins en moins fait allusion au péché véniel inhérent à la relation dénuée de fin procréatrice. D'ailleurs cela a donné lieu à bien des polémiques au sein de l'Église...
Mais gardons-nous de l'hystérie en ayant cette fausse conception de l'infaillibilité pontificale qui voudrait que les documents du magistère soient "parfaits". L'Église n'enseigne pas qu'ils sont parfaits, elle enseigne simplement que les déterminations irrévocables de points doctrinaux sont exempts d'erreurs. Or la perfection est une chose et l'exemption de l'erreur en est une autre : car un enseignement doctrinal du pape peut être exempt d'erreurs sans pour autant être irréprochable, en ce sens qu'il peut NÉGLIGER d'aborder une question qui aurait dû être abordée. Un pape ne peut pas enseigner positivement l'erreur dans le cadre du magistère infaillible, mais il peut négliger d'évoquer des sujets qu'il aurait dû évoquer.
Au fond ce que disent ces historiens dont je parle (notamment Martine Sevegrand) est assez vrai : en entrant dans les temps modernes, on assiste à un discours théologique qui évacue la notion de péché véniel dans le cadre des relations dénuées de fin procréatrice immédiate. Non pas que le magistère ait dit qu'il n'y avait pas de péché véniel dans de tels actes ; mais c'est simplement que le magistère n'en a pas parlé, alors qu'il fallait le faire ! Les papes, face à l'hédonisme ambiant et à la recherche effrénée du plaisir dans la société moderne, n'ont pas osé adopter la rigueur des Pères de l'Église et de St. Thomas d'Aquin. Peut-être leur attitude a-t-elle été motivée par la prudence, notamment la peur de causer des défections chez les chrétiens timorés ; mais les faits sont là : contrairement aux Pères et à St. Thomas, ils n'ont pas osé rappeler toutes les exigences (ou si vous préférez tous les détails) de la morale naturelle et chrétienne, qui veut que celui qui demande l'acte conjugal sans fin procréatrice commet toujours au minimum un péché véniel.
Avec St. Augustin et St. Thomas d'Aquin, on entendait la recherche du "seul plaisir" comme tout acte conjugal non-motivé par une fin procréatrice immédiate ; tandis que depuis l'enseignement moderne, bien des chrétiens se donnent la licence de penser que le "seul plaisir" désigne uniquement l'acte conjugal qui n'a pas pour fin une hypothétique "charité mutuelle" dont le principe serait l'épanouissement du couple au moyen de la vie animale (là on tombe dans l'enseignement des sexologues). Mais à quel moment y aura-t-il "charité mutuelle" et à quelle moment y aura-t-il "absence de charité mutuelle" ? On voit que cette distinction est arbitraire et assez hypocrite. Au fond, les Pères de l'Église et St. Thomas avaient bien compris que sans fin procréatrice immédiate, il y a nécessairement recherche du seul plaisir, de la part de celui des époux qui demande l'acte conjugal. Cette "charité mutuelle" est un fantôme destiné à justifier une conception sexologue de la vie maritale.
Quand le Pape Innocent XI a condamné cette proposition : "L’acte du mariage accompli seulement pour le plaisir est dénué de toute faute vénielle", il parlait bien de tout acte n'ayant pas directement pour finalité la procréation, comme St. Thomas et St. Augustin. C'est la rigueur de la loi évangélique.
La régulation naturelle des naissances est encore une autre question, qui a beaucoup inquiété certains prêtres et donné lieu à de vives polémiques, pour deux raisons :
-Beaucoup d'époux en usent sans "raisons graves" et par pur matérialisme ; or ces "raisons graves" sont nécessaires à la pratique de la régulation naturelle.
-Il y a un danger moral lié à l'abstinence des époux durant les périodes fécondes, lorsque l'un des époux est durement tenté et qu'il n'est pas suffisamment fort sur le plan spirituel pour s'abstenir.
(ne parlons pas des femmes qui usent de la régulation naturelle simplement parce qu'elles savent que la contraception est mauvaise pour la santé, et qui avortent lorsqu'elles s'aperçoivent que la "régulation" a échoué !)
Le district américain de la Fraternité Saint Pie X a publié un vieil article de 1948 qui montre les dangers et les travers de la régulation naturelle des naissances.
Mais pour revenir au problème plus large de la sexualité dénuée de fin procréatrice, ce qui est dommage c'est que la Sacrée Pénitencerie n'ait pas directement répondu à la question de savoir si ce genre de vie était un péché véniel ou non. Toutefois, les Pères de l'Église et St. Thomas y ont déjà répondu...
Enfin, pour clore cet article j'aimerais citer ce beau témoignage d'une femme - semble-t-il américaine - ayant longtemps pratiqué la régulation naturelle des naissances :
Merci pour ce débat. Mon mari et moi avons décidé de pratiquer la régulation naturelle pour ce que nous croyons être une juste cause, après la naissance de notre troisième enfant. Mais nous avons dernièrement jugé que nous n'étions guère à l'aise vis-à-vis de ses implications morales.
Nous croyons fermement que l'acte conjugal a été institué principalement pour la procréation (comme l'enseigne l'Église) et bien que nous usions de la régulation naturelle, nous ne privons pas l'acte de sa fin. Toutefois, le fait est que nous choisissons de pratiquer l'acte seulement lorsque nous savons (ou croyons) que je suis infertile. En d'autres termes nous faisons cela pour le plaisir, sans intention de procréer ; or cela nous semble mauvais.
Nous avons été accoutumés à de longues périodes d'abstinence car mon époux voyage beaucoup, et nous avons également décidé de nous abstenir de l'acte conjugal durant la grossesse (ce que je sais être inhabituel). Donc nous avons décidé de nous abstenir.
Je sais que l'Église avait l'habitude de dire que le sexe était seulement pour la procréation, et je ne suis pas d'accord car cela condamnerait à l'abstinence les couples infertiles [Commentaire de Jean-Baptiste : C'est faux, car d'une part l'infertilité n'est pas nécessairement absolue (ou Dieu peut faire un miracle), et d'autre part vivre dans l'abstinence n'est pas une "condamnation" mais au contraire une libération !], mais nous croyons tous deux que tant que notre désir de procréer n'est pas au minimum aussi grand que notre désir d'éprouver du plaisir, alors ce plaisir est peccamineux.
(témoignage trouvé sur un blog rallié)
Il faut noter que la décision courageuse de ce couple ne peut être faite que du commun accord des époux et avec la prudence requise, chez des époux très pieux/vertueux.
Mais ce qui est intéressant dans ce témoignage, c'est premièrement le fait que cette femme témoigne que la sexualité durant la grossesse est une chose fréquente (alors que certains Pères ont qualifié d'ivrognes les hommes qui s'y adonnaient), et deuxièmement le fait qu'elle dise bien que sa conscience et celle de son mari se sont éveillées contre la pratique de la régulation naturelle...
Encore une fois, je ne juge pas ceux qui usent de l'acte conjugal sans fin procréatrice immédiate. Je dis simplement qu'il est vain et hypocrite de décrire ce genre de vie comme vertueux. De la part de celui des époux qui fait la demande, ce n'est pas l'accomplissement d'un acte de vertu qui conditionne l'épanouissement du couple !
Nous, catholiques traditionalistes, nous nous décrivons comme les garants de l'intégrité doctrinale en matière de foi ; or il conviendrait également de l'être en matière de morale... Car j'ai vu même des sédévacantistes avoir cette mentalité "sexologue" qui consiste à parler comme si l'acte conjugal fréquent était un acte de vertu. En soi c'est faux...