Il y a un certain temps, j'ai découvert un blog intéressant, tenu par un protestant anciennement athée. Ce dernier a un jour rencontré un chrétien qui défendait le christianisme par des arguments philosophiques. Il en a été quelque peu étonné car habituellement les gens qui tentaient de le convaincre de la vérité du christianisme en appelaient à des considérations purement émotionnelles du type "écoute ton cœur, Dieu t'aime",etc. Ayant tenté de réfuter son ami en consultant la Bible (afin d'y chercher des contradictions), il reçut une locution intérieure du Christ : "Alexis, tu es pécheur". Suite à cela il devint chrétien, malheureusement protestant ; et depuis il publie des vidéos apologétiques.
Soit dit en passant, il est faux de croire que lorsque Dieu donne une révélation à quelqu'un l'intéressé se convertit immanquablement au catholicisme. On entend parfois cette erreur dans nos milieux, et je l'aie lue dans des papiers de l'association St. Christophe. En réalité, les grâces extraordinaires servent à la conversion des âmes (soit la nôtre soit celles des autres, ou même les deux) ; or Dieu n'est pas tenu de nous dire tout ce que nous devons faire pour nous sauver, car l'homme doit découvrir la vérité librement et par ses propres efforts (ainsi qu'avec l'aide de la prière). Notre-Seigneur peut très bien accorder une grâce extraordinaire à quelqu'un pour favoriser sa conversion, sans pour autant lui dire tout ce qu'il doit faire. On le voit aisément dans le cas de ces mahométans qui reçoivent des songes ou qui sont favorisés d'autres miracles (parfois stupéfiants), sans que Dieu leur dise jamais : "vous devez devenir catholiques".
Pour revenir à cet "Alexis" dont je suis en train de parler, il y a sur son blog des irrévérences envers Dieu (pour ne pas dire plus), justement parce qu'il est protestant et qu'il n'a pas le vrai sens du sacré. Cependant il écrit aussi des choses intéressantes, et je souhaite ici vous faire part de ses arguments à propos des justifications rationnelles du dogme de la Sainte Trinité.
Notez que certains prêtres traditionalistes n'aiment pas qu'on tente d'attribuer aux dogmes catholiques des justifications rationnelles (sauf pour le péché originel par exemple) : ils qualifient cette attitude de "rationaliste", et ils accusent les protestants de trop verser dans cette tendance.
À vrai dire, je ne suis qu'à moitié d'accord avec eux. Je vais vous expliquer pourquoi...
Un jour, un catholique survivantiste m'a envoyé un article tentant de démontrer scientifiquement l'existence de la prière, comme si la prière avait une forme de matérialité ; tout de suite j'ai flairé le rationalisme protestant et en vérifiant sur internet j'ai vu qu'effectivement, cet article venait d'un protestant. J'ai alors téléphoné au monsieur - fort sympathique - qui m'avait envoyé l'article, et j'ai tenté de lui expliquer d'où venait cet écrit et en quoi il était erroné. Cette personne, âgée, m'a répondu : "vous savez, il faut se méfier d'internet" ! C'est ce que disent parfois certains catholiques âgés qui n'ont jamais utilisé internet. Or mes propos étaient parfaitement vrais, car la prière est immatérielle, et le fait de lui attribuer un caractère matériel et de tenter de prouver son existence sur le plan scientifique relève du rationaliste protestant ! Par contre, je ne suis pas du tout d'accord avec ces prêtres obtus qui qualifient de rationaliste l'attitude consistant à attribuer des justifications rationnelles au dogme de la Sainte Trinité. Ils prétendent que seule la Révélation nous permet de connaître ce dogme, et refusent qu'on avance aucune explication fondée sur la raison. Une telle posture est excessive...
Le site dont je vous ai parlé plus haut, Epistheo, donne deux justifications différentes au dogme de la Sainte Trinité :
La preuve de la Trinité par l'amour
C. KESSLER – « Pourquoi Dieu devrait-il être trinitaire ? C’est la question que nous allons étudier dans cette émission Epistheo, avec le philosophe Alexis Masson. Tout d’abord, qu’est-ce que la Trinité ? »
A. MASSON – « C’est une doctrine chrétienne d’après laquelle Dieu est un être tripersonnel. Les Chrétiens sont monothéistes, ils admettent qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Toutefois, Dieu n’est pas qu’une seule personne, mais trois personnes. Pour le comprendre, les philosophes Moreland et Craig ont proposé l’analogie de Cerbère. Il s’agit d’un chien tricéphale dans la mythologie grecque. Dans la mesure où il n’a qu’un corps, il est un seul être, mais dans la mesure où il a trois têtes, il a trois consciences. De même, bien que Dieu n’ait pas de corps, il est un seul être spirituel, dans lequel il y a trois consciences. Ainsi, pour les Chrétiens, Dieu est un être tri-personnel. »
[Pour ma part je me garderais bien d'invoquer "l'analogie de Cerbère", mais passons !]
C. KESSLER – « Pourquoi Dieu serait-il un être en trois personnes ? »
A. MASSON – « Les philosophes ont avancé un certain nombre d’arguments en faveur de la Trinité. Certains d’entre eux sont remarquables, notamment celui de Richard de Saint-Victor, qui repose sur la notion d’amour. Cet argument est toujours soutenu par des philosophes contemporains tels que Richard Swinburne et Stephen T. Davis. D’après eux, si Dieu n’est pas trinitaire, il est impossible qu’il ait la qualité qu’est l’amour. L’argument repose sur une analyse de la notion d’amour. L’amour, à la différence de l’égoïsme et du narcissisme, implique une relation entre plusieurs personnes. Dieu, s’il est parfait, s’il a cette qualité qu’est l’amour, doit donc être en relation avec plusieurs personnes. Mais s’il dépend qu’autre chose que lui, par exemple des hommes ou des anges (qui sont des créatures), pour entretenir une telle relation, alors il n’est pas autosuffisant et imparfait. Par conséquent, si Dieu existe, c’est-à-dire s’il existe un être parfait (ce qui implique l’autosuffisance et l’amour), alors il doit y avoir plusieurs personnes en lui-même, afin de posséder cette qualité qu’est l’amour. Ce type d’argument vaut pour toutes les qualités impliquant une relation. Par exemple, Raymond Lulle s’appuyait plutôt sur la bonté, car la bonté implique de l’être envers quelqu’un. »
C. KESSLER – « Mais pourquoi devrait-il y avoir trois personnes précisément ? »
A. MASSON – « En ce qui concerne l’amour, cette qualité implique deux choses : le partage et la coopération. Le partage, en tant que tel, implique au moins deux personnes : un donateur et un receveur. Cette relation peut être réciproque, comme c’est le cas entre un époux et une épouse. Toutefois, si cette relation se limite à tout donner à une personne de laquelle on reçoit tout, on risque d’y voir une forme de complaisance. Il doit y avoir un partage vis-à-vis d’un tiers. C’est ce que l’on appelle la coopération, qui est une autre forme d’amour. Elle consiste en ce que plusieurs êtres (au moins deux) portent leur amour vers un tiers (au moins un). Ainsi, par exemple, les parents partagent leur amour envers leur enfant. Pour réaliser tous les types d’amour, il faut donc au moins trois personnes. Aussi, Dieu étant parfait, il doit être au moins trois personnes. Il n’y a pas de raison de penser qu’il y ait plus de trois personnes en Dieu. Si trois personnes suffisent à rendre possible l’amour parfait en Dieu, une quatrième personne serait contingente, c’est-à-dire que son existence ne serait pas déterminée en raison de la nature même de Dieu. Dans la mesure où la nature de Dieu est nécessaire, c’est-à-dire déterminé par sa seule nature plutôt que par d’autres causes, Dieu doit être trinitaire, c’est-à-dire un être en trois personnes, ni plus, ni moins. »
La preuve de la Trinité par la conscience
C. KESSLER – « Pourquoi Dieu serait-il un être en trois personnes ? »
A. MASSON – « Il existe plusieurs arguments en faveur de la Trinité, nous en avons déjà étudié un s’appuyant sur l’amour, dans une précédente émission. Il existe un autre type d’argument qui s’appuyant sur la contemplation ou la conscience de soi divine. Cet argument a connu de nombreux supporters parmi les philosophes et les théologiens : Keckermann, Edwards, Lessing, Martensen, Shedd, etc. D’après eux, la conscience de soi divine implique la Trinité. L’argument s’appuie sur une analogie de la nature de la conscience et de la conscience de soi. La conscience repose sur une dualité entre un sujet pensant à un objet pensé. En effet, la conscience est intentionnelle, elle est toujours conscience de quelque chose. La conscience de soi ajoute une étape supplémentaire, elle consiste à identifier le sujet pensant et l’objet pensé. Ma conscience s’identifie à son objet, l’idée qu’elle se fait d’elle-même. Il en va de même pour Dieu, à la différence que la nature de la pensée divine est différente de la notre. En effet, lorsque nous pensons une chose, notre pensée n’est pas la chose. En revanche, Dieu est un être transcendant, sa pensée produit la réalité. En Dieu, la pensée et la réalité sont une même chose. Par conséquent, en pensant à sa propre conscience, dans la mesure où il la pense existante, la conscience de Dieu se dédouble. Dieu a deux consciences, une fois en tant que sujet, une autre fois en tant qu’objet. Mais ce sont alors deux réalités distinctes, il faut que Dieu les identifie comme étant consciences du même être. Il faut donc que Dieu les prenne toutes les deux pour objet. Il faut donc une troisième conscience, qui soit le sujet qui prenne les deux premières pour objets. Ainsi, chacune des consciences peut identifier les deux autres et les informer, de telle sorte que chacune des consciences s’informe mutuellement. Certains philosophes antiques avaient préféré nier toute conscience de soi en Dieu, craignant la pluralité qu’elle impliquait. Je pense en particulier à Plotin. Les philosophes chrétiens, eux, l’ont admis sans peine, probablement aidés par la révélation. On retrouve de ce type de réflexion chez Augustin, Anselme et Leibniz. »
C. KESSLER – « Et pourquoi devrait-il y avoir trois personnes précisément ? »
A. MASSON – « Parce que Dieu est nécessaire, il est déterminé par sa seule nature. S’il faut qu’il y ait en Dieu trois consciences, c’est en raison de la perfection de sa nature, qui implique la conscience de soi. Mais une quatrième conscience, voir davantage, introduirait de la contingence en Dieu, c’est-à-dire que cette existence serait déterminée par autre chose que la nature divine elle-même. Par conséquent, Dieu est un être en trois personnes, ni une de plus, ni une de moins. »
Note de Jean-Baptiste : Certains verront peut-être dans ces considérations une forme d'anthropomorphisme. Mais il ne faut pas oublier que "l'homme a été créé à l'image de Dieu". Nous portons en nous l'image de notre Créateur, et donc il est juste d'établir des analogies entre ce qu'Il est et ce que nous sommes.