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In Nomine Domini

In Nomine Domini

« Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jean XVIII. 37)


L'abbé Lafitte et le droit de vote

Publié par Jean-Baptiste sur 12 Avril 2017, 06:50am

 

Il y a quelque temps, j'ai eu sur gloria.tv une polémique assez brève avec des catholiques qui prétendent qu'il ne faut pas voter ; et ces derniers m'ont cité un sermon de l'abbé Lafitte, qu'ils présentaient comme excellent. Or quelqu'un me l'a de nouveau cité hier (par courriel), et en le lisant j'ai vu que ce sermon comportait des erreurs évidentes (pour ne pas dire plus).

L'abbé Lafitte dit notamment qu'il n'existe aucun devoir obligeant les catholiques à voter, et donne l'argument que ni le catéchisme du concile de Trente ni le catéchisme de Saint Pie X n'évoquent un tel devoir. En réalité on pouvait difficilement trouver un argument moins sérieux que celui-là, car ces deux catéchismes ne sont pas principalement destinés à décrire les devoirs des chrétiens dans l'ordre naturel et civil. Le premier est surtout à l'usage des prêtres de paroisse, et le second est un résumé de ce que les catholiques doivent croire et faire pour se sauver. Donc ils n'ont pas vocation à mentionner cette question, d'autant plus qu'à l'époque du catéchisme du concile de Trente les grandes puissances catholiques étaient des monarchies !

Le vieux catéchisme du diocèse de Besançon, lui, précise bien que les catholiques ont le devoir de voter ; et le Padre Pio lui-même le faisait scrupuleusement. 

Ensuite, l'abbé Lafitte prétend qu'il ne faut pas voter, au motif que les candidats à la présidentielle de 2017 ne reconnaissent pas la doctrine du règne social de Jésus-Christ. Or, avec tout le respect que je dois à l'abbé Lafitte, ce raisonnement est complètement ridicule : car cela revient à dire par exemple que les chrétiens habitant des pays païens ou hérétiques ne doivent voter pour personne ; ce qui est totalement faux ! 

Le monde n'est pas seulement régi par la loi surnaturelle, mais par la loi naturelle ; et l'homme ayant été conçu à l'origine dans l'état d'innocence, même les non-chrétiens poursuivent un certain bien naturel, au moins à un certain degré. Contrairement à ce qu'ont affirmé des hérétiques tels que Baïus, les païens et ceux qui n'appartiennent pas au corps de l'Église peuvent accomplir des bonnes œuvres sur le plan naturel, même lorsqu'ils ne sont pas en état de grâce (on peut être en état de grâce lorsqu'on appartient au minimum à l'âme de l'Église). 

Il ne s'agit pas de vivre dans un rêve à système (comme le faisait par exemple Lamennais) mais de poursuivre un bien pratique, au milieu d'un monde imparfait qui n'est pas tel que Dieu le désire. Or, étant donné qu'il existe un bien commun naturel que chacun doit s'efforcer de réaliser dans la société civile, l'idée qu'il ne faudrait pas voter au motif que les candidats ne reconnaissent pas le Christ est complètement oiseuse, et fidéiste : car elle revient à reléguer le bien à accomplir sur terre à un bien uniquement surnaturel.

D'ailleurs, le but premier du gouvernement civil est la félicité publique (la prospérité matérielle), et non l'exaltation de la foi, qui relève du rôle de l'Église. Les gouvernements civils doivent être les collaborateurs de l'Église, mais pas plus : dans le domaine religieux ils doivent se cantonner à ce rôle subordonné.

Saint Louis ne disait pas "le rôle d'un roi est d'exalter la religion dans son royaume" ; il disait "le rôle d'un roi est d'imprimer de la monnaie pour le bien de ses sujets". Car l'exaltation de la foi revient principalement aux prêtres et aux évêques, et les chefs de la société civile ne sont que des collaborateurs. Ils peuvent, et même doivent concourir, positivement et négativement, à ce que la religion soit honorée dans leur pays, et à ce qu'elle ne subisse pas d'entraves. Mais la distinction du temporel et du spirituel exclut tout rôle théocratique du chef d'état : ce dernier n'est pas un chef religieux. C'est ainsi que sous l'Ancienne Alliance, Saül fut puni pour avoir usurpé le rôle des prêtres.

Enfin, quand l'abbé Lafitte dit que l'Église a condamné la doctrine du moindre mal, il tient des propos équivoques et tendancieux, qui génèrent la confusion dans l'esprit des fidèles : car il faut bien distinguer deux sortes de "doctrine du moindre mal" (l'une juste et l'autre fausse).

La première (la juste) consiste à dire que la réalisation du bien pratique ne s'accomplit pas seulement positivement (à savoir en accomplissant un bien positif) mais négativement, à savoir en omettant de faire le mal ou en évitant un mal plus grand, lorsque la situation ne nous permet pas d'accomplir un bien positif. On retrouve ce raisonnement chez Saint Thomas d'Aquin. 

La seconde (la fausse) consiste à dire que la fin justifie les moyens, et donc qu'il est permis de poursuivre une fin bonne par de mauvais moyens. L'un des meilleurs exemples est celui des deux bombes atomiques larguées sur le Japon, à Hiroshima et Nagasaki : vous avez dû entendre des gens, au moins une fois dans votre vie, justifier cela en prétendant que la poursuite de la guerre aurait fait plus de morts que les deux bombes réunies. Or le fait de larguer deux bombes atomiques sur des civils innocents est un moyen intrinsèquement désordonné, quelle que soit la fin poursuivie. D'ailleurs il semble avoir existé en l'occurrence une fin occulte et diabolique, car Hiroshima et Nagasaki étaient les villes les plus christianisées du Japon, et non pas les plus peuplées. Donc tout indique qu'elles ont été délibérément choisies à cette fin pour être bombardées.

On pourrait prendre un deuxième exemple : l'idée de Ratzinger (alias Benoît XVI), comme quoi le préservatif peut être utilisé par les couples sidéens, pour éviter la contamination. Il s'agit d'une erreur car dans cette situation un moyen désordonné est mis au service d'une fin honnête ; or une telle chose n'est pas permise. 

Contrairement à ce que prétend l'abbé Lafitte, le fait de voter afin d'éviter un plus grand mal est tout à fait licite, et il existe une doctrine juste du moindre mal. En votant pour le candidat "le moins mauvais", on poursuit un bien réel, on choisit véritablement un bien et non pas un mal ! Car le fait de voter pour ce candidat ne constitue pas un acte intrinsèquement désordonné, partant que notre vote n'implique pas d'adhésion complète vis-à-vis de chaque opinion défendue par le candidat en question. 

L'humanité étant ce qu'elle est, il est difficile de trouver un candidat qui n'ait aucune idée répréhensible, et qui ait en même temps des chances d'être élu. Donc la logique et la poursuite du bien pratique veulent qu'on vote pour le moins mauvais parmi ceux qui ont des chances d'être élus. 

Moi-même, il y a peu, je croyais qu'il n'était pas permis de voter pour un candidat plus ou moins favorable à l'avortement ; or en parlant avec des amis je me suis aperçu que je raisonnais mal. 

Il y a également des gens qui disent (à tort) : "nous sommes tous criminels, parce que nous payons des impôts qui servent à financer l'avortement" ; or c'est comme si le Christ avait dit qu'il ne fallait pas payer l'impôt à César, au motif que l'argent pouvait servir à des fins mauvaises (par exemple la construction de temples païens). Il est évident que les Juifs n'étaient pas responsables de ce que Rome faisait de leur argent. Par contre, s'il avait existé un impôt spécial dédié à la construction des temples païens, Notre-Seigneur aurait interdit aux Juifs de le payer ; et l'on pourrait dire de même s'il existait aujourd'hui un impôt spécial expressément dédié au financement de l'avortement. 

S'il était interdit de payer l'impôt au motif que l'argent servira vraisemblablement à de mauvaises fins, et si le monde s'était conformé à ce précepte, alors peu de chefs d'état auraient reçu l'argent des impôts, étant donné que peu de chefs d'état dans l'histoire du monde ont été bons ! 

Était-il interdit de payer l'impôt à Louis XIV, au motif qu'il servirait en partie à entretenir ses maîtresses ? Non !

Dans le cas du candidat plus ou moins favorable à l'avortement, la situation serait déjà différente si l'avortement n'existait pas : car le fait de voter pour un tel candidat encouragerait l'avortement, surtout si les autres candidats avaient des opinions différentes. Mais aujourd'hui, l'avortement existe déjà, et le Front national demeure l'un des partis les plus critiques à cet égard, parmi ceux qui aient des chances d'être élus. En tout cas Marine le Pen a déjà eu par le passé des propos critiques à l'encontre de l'avortement.

À l'occasion de la dernière élection américaine, les deux candidats n'étaient pas bons, et la récente affaire des frappes militaires contre une base syrienne prouve que Donald Trump est très mal inspiré (pour ne pas dire davantage) ; pourtant il me semble évident qu'il fallait voter pour lui, étant donné qu'Hillary Clinton est bien pire : c'est un agent du nouvel ordre mondial, et tout indique qu'elle appartient aux sectes funestes qui régentent les États-Unis. D'ailleurs, puisque nous parlons de l'avortement, Donald Trump y est assez hostile, tandis qu'Hillary Clinton y est favorable. 

 

Je crois en avoir assez dit sur la question du vote, mais j'aimerais évoquer une dernière chose : dans nos milieux, certains prêtres et fidèles ont tendance à réduire la religion à une forme de slogan. Certains ne comprendront pas ce que je veux dire, mais je vais tenter de m'expliquer...

Un jour, j'ai eu au téléphone un fidèle qui me racontait que le cardinal Siri avait une conception du séminaire catholique quelque peu différente de celle de Mgr Lefebvre. Il disait que le séminaire d'Ecône était très bien sur le plan doctrinal, mais que de son côté il avait une conception plus spirituelle de ce que doit être un séminaire. Il s'agissait d'apprendre aux prêtres à entretenir la vie de la grâce dans les âmes, en pratiquant la miséricorde, la prière, l'amour du pécheur au confessionnal. En somme une spiritualité rédemptoriste ou salésienne. Or, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre de sa famille religieuse, Mgr Lefebvre était plus "doctrinal" que spirituel. Les exorcismes suisses eux-mêmes en ont parlé.

Évidemment, c'était un saint homme qui aimait sincèrement l'Église ; mais même lui a eu ses défauts, vous le savez et je ne vous apprends rien de ce point de vue. Mgr Lefebvre venait d'une famille aisée (ce qui n'a rien de répréhensible !), et il avait une mentalité assez intellectualiste, dont la Fraternité Saint Pie X a hérité.

(Cela dit la Fraternité fait des choses que Mgr Lefebvre n'aurait probablement pas approuvées de son vivant, par exemple elle a tendance à exclure les mauvais élèves de ses collèges et lycées, afin d'afficher les meilleures statistiques de réussite, comme pour dire au monde profane : "regardez, nous sommes les meilleurs". Comme si l'intelligence était une preuve de vertu ! Exclure des élèves au motif qu'ils sont moins bons que les autres - pas toujours par leur propre faute - est contraire à la miséricorde chrétienne).

À cet égard, il y a une différence entre la spiritualité orientale (notamment celle des grecs schismatiques) et la spiritualité latine. Les Latins sont plus doctrinaux, moins mystiques. Ainsi, il est commun, dans nos chapelles, d'entendre certains prêtres et fidèles répéter comme des slogans des expressions du genre : "formation doctrinale", "auteurs contre-révolutionnaires", "le Christ Roi". Or la religion n'est pas un slogan...

Pour vous donner un exemple, lorsque vous écoutez les sermons de Mgr Lefebvre sur gloria.tv, à chaque fois qu'il prononçait le nom du Christ, il se croyait obligé de dire "Notre-Seigneur Jésus-Christ" ; or on ne trouve cette manière de parler ni dans les Saintes Écritures, ni chez les orateurs sacrés. Bourdaloue ne disait pas "Notre-Seigneur Jésus-Christ" à chaque fois qu'il parlait de la seconde Personne de la Sainte Trinité. Les docteurs, tels que Saint Robert Bellarmin, ne le faisaient pas non plus. 

Un titre perd sa gloire quand on l'emploie trop souvent. Donc il est logique de dire "Jésus", "le Christ", "notre Sauveur", "le Maître", "Notre-Seigneur", "Dieu", "le Seigneur" et quand on veut spécialement glorifier le Fils, "Notre-Seigneur Jésus-Christ".

Au séminaire d'Ecône, à ma connaissance un séminariste lit au micro des écrits anti-modernistes durant le repas collectif : c'est en tout cas ce que j'ai vu dans un documentaire. Or pour ma part je vous avoue que je trouve cette pratique assez stéréotypée... Surtout si la lecture est systématiquement un écrit anti-moderniste (mais peut-être que les journalistes ont dit une chose fausse).

En tout cas, certains d'entre vous verront de quoi je veux parler quand j'évoque cette attitude qui consiste à transformer la religion catholique en slogan. 

Notamment, ce que je reproche c'est le fait d'entendre le règne social du Christ principalement comme une exaltation extérieure de la religion dans la société ; or le règne du Christ n'est pas uniquement cela, ni même principalement cela ! Car si la société civile reconnaît la religion catholique et que cependant les chrétiens sont mauvais, on ne pourra pas dire que le Christ règne sur les âmes ; ce sera le démon qui régnera sur eux. Donc avant même de chercher l'exaltation extérieure de la religion, les chrétiens doivent chercher à l'établir dans leur cœur. 

Durant les premiers temps évangéliques, la religion était à son apogée, et pourtant elle ne régnait pas dans la société civile ! Au contraire, durant l'époque de Saint Louis elle était reconnue par les plus grandes puissances mondiales, mais les chrétiens étaient moins bons (meilleurs qu'aujourd'hui mais moins bons qu'aux premiers temps évangéliques). 

À mon sens, l'un des exemples les plus caractéristiques de cette tendance à transformer la religion en slogan, c'est l'institut Civitas, qui tombe pour le coup dans l'activisme politique...

Comme l'enseignent les théologiens, pour se sauver il faut relativement peu de doctrine (globalement la connaissance des mystères élémentaires suffit), mais beaucoup de morale (en ce sens que la vie chrétienne exige souvent autant de discernement que de courage). 

Saint Jean Chrysostôme était connu pour parler davantage de la morale que du dogme, contrairement à saint Grégoire de Naziance ; or il me semble que son choix était le meilleur des deux.

Un prêtre survivantiste m'a déjà dit au téléphone qu'il avait été très peu satisfait de l'enseignement d'Ecône dans le domaine mystique. Ce prêtre aime la spiritualité salésienne, ce qui est également mon cas. Je pense que les rédemptoristes et les salésiens ont fait beaucoup de bien à la spiritualité latine, et qu'ils en auraient fait encore plus si on les avait écoutés davantage. Il y a également l'exemple récent de Mgr Ghika, converti du schisme grec, qui a écrit de bons livres de spiritualité. Une religieuse sédévacantiste m'a déjà déclaré qu'elle les trouvait "bizarres", mais c'est parce que les gens de nos milieux ont parfois du mal à comprendre cette spiritualité. 

 

EDIT : J'ai oublié une chose importante dans cet article, précisément sur la question du moindre mal. En matière de théologie morale, et spécialement à propos de l'usage du mariage, l'abbé Lafitte ne comprend pas mieux le problème du moindre mal que dans le domaine politique : car il ne comprend pas que si l'usage du mariage est toléré même en l'absence de finalité procréatrice immédiate, c'est uniquement par indulgence et afin d'éviter un mal plus grand (la fornication), comme l'enseignent les théologiens ; lui considère qu'il n'y a aucun mal à faire un tel usage du mariage tant que l'intégrité de l'acte est préservée ; or cela est faux : il n'y a aucun péché de la part de celui des époux qui rend le devoir (car il agit ainsi afin d'éviter à son conjoint un mal plus grand), mais il y a péché véniel au minimum de la part de celui qui le demande, car il agit uniquement pour satisfaire son plaisir, bien qu'il respecte l'intégrité de l'acte ; et le mal qu'il prétend éviter pourrait être évité d'une façon différente, moins nuisible à l'âme.

 

 

 

Le Padre Pio en train de voter

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