À l'approche du second tour des élections présidentielles, des catholiques - aussi bien des prêtres que des laïques - prétendent qu'il ne faut pas voter, ou encore que c'est une chose indifférente. L'abbé Lafitte affirme par exemple qu'il n'existe aucune obligation catholique de voter, et qu'il est interdit de voter pour un candidat ne défendant pas la religion dans son programme.
Je démontre dans la vidéo ci-dessous que les propos de l'abbé Lafitte sont contraires à l'enseignement de l'Église, comme on peut le voir dans un ouvrage paru en 1952, Catholics Principles of the Obligation of Voting :
1°) Les deux enseignements à retenir en la matière
Premièrement, les papes, les théologiens et les évêques ont enseigné qu'il existait une obligation catholique de voter, sous peine de péché grave ; et le Pape Pie XII en particulier a été très clair. Cette obligation se justifie par le devoir que nous avons tous, en tant qu'hommes et en tant que catholiques, de concourir à la réalisation du bien commun (qui est précisément conditionnée par les élections).
Deuxièmement, la plupart des théologiens enseignent que même lorsque les candidats sont tous indignes (au moins en partie), il faut voter pour le moins indigne d'entre eux. Par exemple, dans le cas extrême où les candidats seraient tous des persécuteurs de l'Église, il faudrait voter pour le moins cruel : car le vote ne vaut pas nécessairement approbation du programme, des idées ou des mœurs du candidat.
2°) Le degré d'autorité de ces enseignements
Mais quelle est la valeur de ces deux enseignements ? À quel degré lient-ils les fidèles ?
Le premier est infaillible, car plusieurs papes l'ont défendu (notamment Saint Pie X), dans l'exercice de leur magistère ordinaire ; et comme il a été dit plus haut, le Pape Pie XII a précisé qu'il y avait péché mortel à ne pas voter. Les papes ont suffisamment manifesté leur intention de lier, en évoquant à plusieurs reprises cette obligation grave. Il faut ajouter que les évêques et théologiens eux-mêmes l'ont dit, avec unanimité morale. Donc l'infaillibilité de cette doctrine est manifeste à un double titre.
Le deuxième n'est pas à proprement parler infaillible, mais il constitue l'enseignement le plus prudent. En matière de morale l'enseignement majoritaire des théologiens doit être préféré à l'enseignement minoritaire, sinon il y a un risque de tomber dans le probabilisme.
3°) La théorie du moindre mal
Dans la vidéo ci-dessus, j'ai oublié de mentionner cette question importante de la théorie du moindre mal. L'abbé Lafitte prétend que cette théorie est contraire à la doctrine catholique ; or cela est faux : Saint Thomas d'Aquin évoque bien, dans sa Somme théologique, la théorie du moindre mal. Quand on est confronté à deux maux, et qu'il est impossible de réaliser un bien positif, il convient d'éviter un plus grand mal, ce qui revient à réaliser un bien négatif. Face à une telle situation, on ne choisit pas le mal, on choisit un bien réel qui consiste à éviter un mal plus grand.
Il ne faut pas confondre cette acception catholique du moindre mal avec l'acception profane, qui postule que « la fin justifie les moyens ». En réalité, il n'est jamais permis de faire le mal en vue d'une fin bonne, contrairement à ce qu'on a pu dire pour justifier l'usage de la bombe atomique au Japon, ou encore l'usage du préservatif : Ratzinger a par exemple déclaré qu'un couple sidéen pouvait recourir à ce moyen contraceptif afin d'éviter la contamination.
Dans le cas du vote, comme l'ont enseigné les théologiens le fait de voter pour un candidat en partie indigne n'est pas un moyen mauvais, car le vote ne signifie pas nécessairement qu'on approuve l'intégralité du programme du candidat (encore moins ses mœurs). Le seul cas où le vote serait interdit serait globalement celui où le vote lui-même se ferait dans des circonstances qui impliquent inévitablement un péché (spécialement un péché de scandale) : le Pape Pie IX a ainsi interdit aux Italiens de voter à l'époque de la persécution du roi Victor-Emmanuel II, car cela aurait impliqué de leur part une forme de vœu justifiant la spoliation des états pontificaux (bien que l'État italien fût un royaume il existait des élections).
4°) La gravité des circonstances
La gravité des circonstances justifie qu'on vote pour le moins indigne des candidats. Plusieurs théologiens ont enseigné que même lorsque les candidats sont tous des persécuteurs de l'Église, il convient de voter pour le moins cruel : car l'abstention n'existe pas, en ce sens que la voix qu'on refuse au candidat le moins indigne risque de profiter au plus indigne ; et c'est spécialement le cas aujourd'hui avec le duel entre Marine le Pen et Emmanuel Macron.
Par ailleurs, comme je l'ai prouvé dans ma vidéo, les papes n'ont pas dit qu'il n'était permis de voter que pour des candidats catholiques : ils se sont exprimés dans un contexte où les candidats catholiques existaient, mais n'ont pas exclu qu'on puisse voter pour d'autres candidats lorsqu'il est impossible de faire autrement ; d'où l'enseignement des théologiens en ce sens, les théologiens ayant pour rôle de préciser l'enseignement du pape et de l'Église.
5°) Le rôle de la société civile
Le rôle principal de la société civile étant d'assurer la félicité temporelle de ses sujets, il est ridicule d'affirmer, comme le fait l'abbé Lafitte, qu'il ne faut pas voter au motif que les candidats actuels ne défendent pas « le règne du Christ Roi ». La propagation de la foi revient principalement à l'Église, et non à l'État ; et bien que l'État ait des devoirs à cet égard, il n'a qu'un rôle secondaire en cette matière.
Certains chrétiens habitent des pays infidèles ou hérétiques, et pourtant ils doivent voter, afin de participer à la réalisation du bien commun naturel dans la société.
6°) Résumé de la question
L'abbé Lafitte, tout en se vantant régulièrement de suivre la doctrine catholique, tient des propos contraires à l'enseignement de l'Église :
1°) Il va jusqu'à nier l'existence de l'obligation grave qu'ont les catholiques de voter, sous peine de péché mortel ;
2°) Il refuse de suivre l'enseignement de la plupart des théologiens, qui veut qu'en présence de candidats indignes on vote pour le moins indigne d'entre eux.
Afin de nier l'existence de l'obligation catholique de voter, l'abbé Lafitte fait valoir que ni le catéchisme du concile de Trente ni le catéchisme de Saint Pie X n'évoquent une telle obligation. Mais on peine à comprendre un argument aussi oiseux : car ces deux catéchismes n'ont pas vocation à détailler tous les devoirs civils des chrétiens ! Le catéchisme du concile de Trente a d'ailleurs été composé à une époque où la plupart des nations catholiques étaient des monarchies; et le catéchisme de Saint Pie X n'est qu'un résumé, le plus bref possible, des vérités les plus nécessaires au salut (en matière de foi et de morale).
Je parle de l'abbé Lafitte, mais on peut également citer catholicapedia (eux qui fanfaronnent beaucoup quand il s'agit de la doctrine catholique), ou encore le président de l'association Saint Christophe, qui écrit dans son dernier bulletin qu'il faut voter pour Jésus-Christ : en d'autres termes il tourne en dérision les élections présidentielles.
En réalité, lorsque le citoyen d'un pays se trouve face à une situation aussi grave, il ne lui est pas permis de mépriser ses devoirs.
Les royalistes qui prétendent que le vote pérennise le système sont des individus charnels et mélancoliques : ils vivent dans le rêve à système plutôt que de tenter de réaliser un bien pratique, comme le veut la doctrine catholique.
Si Dieu a permis la mort de la royauté française, c'est parce qu'elle ne méritait plus d'exister ; et comme nous l'avons expliqué dans des articles précédents tout indique que les prophéties sur le Grand Monarque temporel sont fausses ; or les sédévacantistes qui invitent à ne pas voter agissent ainsi souvent à cause de leur foi en ces prédictions. C'est le cas de catholicapedia, et je pense que c'est également le cas de l'abbé Lafitte.
J'ai démontré plus haut que l'obligation pour les catholiques de voter relève d'un enseignement infaillible de l'Église : donc on pourra me répéter à loisir des slogans du genre « la République c'est la judéo-maçonnerie », cela ne changera rien aux données du problème !
Il est absolument faux de prétendre qu'il ne peut y avoir en France aucun régime républicain légitime. Prétendre cela, c'est verser dans un messianisme politique idolâtre.
Nous aussi nous sommes royalistes, mais pas mélancoliques ; et nous n'affirmons pas qu'il est impossible que la France connaisse un gouvernement légitime autre que royaliste. D'ailleurs il en a existé un...
Enfin, je conclurai cet article en évoquant un aspect précis de ma vidéo : la question de la complexité de la vie morale. J'ai pris l'exemple de la seconde guerre mondiale et de la collaboration, et spécialement l'affaire Papon : si ce dernier avait abandonné son poste (on lui a reproché de ne pas l'avoir fait), ce poste aurait pu être confié à un collaborateur ou à un nazi ; donc il a préféré rester en fonction, dans l'espoir de limiter les dégâts au maximum. Or, un jour où il a été interrogé par un journaliste qui lui demandait s'il était fier de se regarder dans le miroir, il a eu cette réponse magnifique, prononcée avec force et dignité :
« on n'a jamais fini de faire son devoir, sur cette terre, telle qu'elle est, et avec les hommes, tels qu'ils sont ».
Pour plus d'informations sur l'obligation catholique de voter, les anglophones se reporteront à cet ouvrage :
Catholic Principles of the Obligation of Voting
By Rev. Titus Cranny, S.A., M.A.., S.T.L.
The Catholic University of America Press,
Washington, D.C., 1952