Quelqu'un m'a invité à écrire un article sur la question du téléchargement illégal : est-ce immoral ? S'agit-il d'un vol ? Le cas échéant, est-on tenu à restitution, et de quelle manière ?
J'ai eu l'occasion de parler avec deux prêtres de cette question, et ils m'ont dit qu'elle était controversée : les prêtres n'ont pas tous le même avis sur le sujet.
Avant toute chose deux distinctions sont de mise :
-Il faut distinguer d'une part le droit d'auteur et le copyright : le droit d'auteur est la paternité d'un artiste sur son œuvre, tandis que le copyright constitue littéralement un "droit à la copie". Le droit d'auteur est fondé sur le droit naturel, ce qui n'est pas toujours le cas du copyright, qui a donné lieu à des extensions particulièrement abusives (notamment quant aux images).
-Il faut distinguer d'autre part le droit d'auteur et le droit de tirer profiter de son œuvre.
L'existence du droit d'auteur ne fait nulle difficulté en droit naturel : lorsque quelqu'un a fait usage de ses talents ou même de son argent pour la réalisation d'une œuvre, il est normal que l'on reconnaisse la paternité de cette œuvre, tout comme on reconnaît un Créateur à la Création. Par contre, certains prêtres contestent l'idée qu'il y aurait, attaché au droit d'auteur, un droit naturel à tirer profit de son œuvre.
Pour ma part, je suis l'adage populaire selon lequel "tout travail mérite salaire". Lorsqu'une personne dédie son talent et son énergie à un œuvre artistique, il est légitime qu'elle puisse en tirer bénéfice : la priver de ses revenus est une forme de spoliation.
Le téléchargement illégal étant un phénomène récent, et le Vatican étant actuellement usurpé par des antipapes, l'Église n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur le sujet : donc la question demeure sujette à controverse ; mais dans le doute il convient d'adopter la position qui semble la plus juste : et à mon sens le plus juste est généralement de s'abstenir du téléchargement illégal.
Toutefois, il y a à mon avis des circonstances où c'est permis au regard du droit naturel (au regard du droit positif c'est différent) :
1°) Si l’œuvre en question comporte des immoralités notables, cela implique que le créateur de l’œuvre ne peut jouir d'aucun droit réel à en tirer profit : car il n'est pas permis de tirer profit du péché.
Évidemment, certains objecteront : "si l’œuvre en question est immorale, de toute façon on ne peut pas l'acquérir : donc cette solution relève du cas d'école et n'a aucune conséquence pratique."
En réalité ce n'est pas exact : une œuvre quelle qu'elle soit peut très bien avoir été réalisée dans un but immoral, ou comporter une immoralité dans son contenu, sans qu'il y ait nécessairement une incidence sur l'âme de celui qui la possède et en use ; donc il peut être licite de l'acquérir.
Je vais vous donner plusieurs exemples, qui seront l'occasion d'évoquer ce sujet annexe qu'est la moralité des films et des jeux vidéos :
#1 Si vous regardez un film de propagande communiste (ou hitlérienne) à des fins historiques, par exemple pour écrire un livre, le film en question est immoral et pourtant vous avez le droit de le regarder (même au regard du droit naturel), tant que vous n'adhérez pas à la propagande qu'il véhicule. Il n'y aurait péché de scandale que si ce film comportait un danger de scandale important pour votre âme : par exemple s'il risque de vous faire perdre la foi. Mais sur ce point il faut se garder des opinions exagérées de certains, par exemple un prêtre sédévacantiste dont je ne dirai pas le nom, connu pour son rigorisme, qui va jusqu'à dire qu'il n'est pas permis de se rendre dans une bibliothèque municipale à cause du danger pour la foi (rares sont les prêtres traditionalistes à défendre des idées aussi ridicules).
#2 Si vous téléchargez illégalement un livre hérétique, antichrétien ou immoral en quelque façon (toujours à des fins d'étude), là encore l’œuvre comporte une immoralité et pourtant vous avez le droit de la lire, pour réfuter ses partisans : mais une fois de plus il convient de peser le danger que représente l’œuvre suivant votre degré de foi et d'instruction.
#3 Si vous jouez à un jeu vidéo qui comporte des immoralités tout en sachant qu'il vous sera facile de les éviter (pas plus dur que dans la vraie vie), là encore c'est licite : car comme l'enseignent les théologiens, l'âme est tentée quotidiennement (pour ne pas dire continuellement), donc les occasions de péché ne deviennent peccamineuses que lorsqu'elles sont volontaires, injustifiées ou notablement supérieures à celles de la vie ordinaire (soit en termes de gravité, soit en termes de fréquence) : le bal, par exemple, n'impliquait pas toujours d'occasion prochaine de péché mortel (tout dépend des danses considérées, ainsi que des tenues qu'on était susceptible de rencontrer). Évidemment, dans ce domaine la rigueur est préférable (la fréquentation du bal, justement, est à proscrire) ; cela dit il faut également peser les avantages et les inconvénients : une occupation frivole ou véniellement peccamineuse est parfois préférable à l'oisiveté, qui est "la mère de tous les vices". Dans les camps de concentration certains prêtres jouaient à des jeux de cartes (le jeu de hasard relève du péché véniel), car ils n'avaient pas la force de prier toute la journée, et ressentaient le besoin de se distraire, au milieu de toutes les peines qu'ils enduraient.
Le jeu vidéo est un bon exemple car il existe des jeux en monde ouvert, où le joueur possède un grand éventail de possibilités (un peu comme dans la vraie vie), donc la possibilité de faire le bien comme de faire le mal. Or, lorsque le mal présente un danger pour l'âme, il n'est pas permis de le représenter : donc on peut dire que ces jeux sont peccamineux, et pourtant on ne commet pas nécessairement de péché en y jouant, si l'on n'est pas plus exposé au péché que dans la vie de tous les jours. On peut aussi citer des jeux de guerre comportant des paroles grossières (parfois il est justement possible de les désactiver), mais également les jeux d'esprit excessivement païen (notamment certains jeux de rôle). De même, il existe des jeux vidéos qui peuvent être purifiés de leurs immoralités grâce à des mods : et dans ce cas le jeu de base reste payant (ce qui implique un profit illicite), tout en devenant moralement acceptable si l'on installe le mod requis.
Sur la question précise de la magie dans les livres et jeux vidéos, il faut savoir que les mondes imaginaires et pouvoirs extraordinaires ne supposent pas toujours de caractère peccamineux. Les prêtres reconnaissent généralement que Le Seigneur des Anneaux, ou encore Le Monde de Narnia, sont bénins (cela dit les versions cinématographiques comportent des tenues immodestes). D'ailleurs le premier est l’œuvre d'un catholique traditionaliste. Mais les séries de Star Wars ou Harry Potter sont infestées par l'esprit de la kabbale juive et du New Age (ce qui est dommage car elles présentent de très bons aspects, mais c'est là toute la ruse du démon). À cet égard on peut se poser la question du degré de scandale que ces œuvres impliquent. Étant donné qu'elles ont probablement été réalisées dans le but d'influencer le lecteur/spectateur (sans compter la question de l'impudeur dans certains Star Wars, et les quelques sous-entendus sexuels de Harry Potter), je dirais qu'il faut s'en abstenir. Mais les jeux vidéos Star Wars ne sont pas toujours un danger : quand on joue à un FPS tel que Battlefront on se moque pas mal de l'intrigue liée à l'histoire de la série ; simplement il faut éviter de jouer des personnages comme Palpatine ou Dark Vador (surtout le premier, qui est franchement malsain)... Je dirais même que le dernier Battelfront est l'un des FPS les plus propres à ce niveau, et il se paie le luxe de n'afficher aucune goutte de sang.
Soit dit en passant, la violence n'implique pas de caractère peccamineux systématique, contrairement aux représentations sexuelles (qui sont toujours un danger pour l'âme). Les catholiques modernistes sont dans l'erreur lorsqu'ils décrivent la violence comme plus dangereuse que la sexualité (je parle en particulier des films), et même certains tradis commettent cette erreur : je connais le cas d'un catholique de nos milieux qui me parlait un jour au téléphone et qui décrivait les scènes de guerre violentes comme plus dangereuses que les scènes sensuelles (en particulier les baisers impudiques) ; or c'est exactement le contraire : la violence est dans l'ensemble beaucoup moins dangereuse, et peut même porter à l'humilité et à la méditation (par exemple quand on voit l'horreur des camps de concentration dans des documentaires), là où les manifestations sensuelles portent à la jouissance désordonnée des plaisirs de la vie. Le péché d'impureté est celui qui damne le plus grand nombre de personnes, ne l'oublions pas.
Battlefield 1 est un jeu avec des scènes de corps à corps très violentes et très réalistes, mais conformes à la réalité de la première guerre mondiale : et il faut se souvenir que tout homme valide peut être amené à participer à une guerre (même les prêtres, en tant qu'aumôniers), et donc à voir ce genre de spectacle. C'est pourquoi, à mon sens, il n'y a pas de péché évident dans cette représentation de la violence. Mais dans les films d'horreur ou certains films de guerre le cas est différent, parce que la violence est proposée en jouissance au spectateur : comme s'il s'agissait d'un objet de délectation.
Battlefield 1 est un bon exemple casuistique à un autre titre, sous l'aspect des doublages : il y a des jeux de guerre qui sont beaucoup plus grossiers dans leur doublage anglophone que dans leur doublage francophone ; et c'est justement le cas de ce jeu : le doublage anglophone est gravement peccamineux (j'ignore s'il est possible de le désactiver, je n'ai pas regardé), tandis que le doublage francophone demeure acceptable (en tout cas il ne comporte pas d'immoralités graves). C'est dû au fait que les anglo-américains ont un langage relativement ordurier, avec des expressions sexuelles qu'ils mêlent à une bonne partie de leurs expressions grossières. Vous connaissez notamment les formules employées par les rappeurs américains : ça va jusqu'à des allusions à l'inceste.
2°) Lorsque le créateur d'un film ou d'une quelconque œuvre artistique est mort, il n'existe aucun principe de droit naturel justifiant que ses héritiers puissent tirer bénéfice de son œuvre. Autant le droit à tirer bénéfice de son œuvre propre peut se justifier ("tout travail mérite salaire"), autant il me paraît difficile de justifier, en droit naturel, que les héritiers en tirent également profit.
Dans le cas des jeux vidéos, les créateurs sont multiples et les jeux sont produits par des sociétés, donc c'est un problème différent.
Il existe probablement d'autres cas où le téléchargement illégal ne contrevient pas au droit naturel, mais ce sont les deux que j'aie retenus.
Notez que l'émulation, par exemple, n'est pas illégale : c'est permis lorsqu'on possède le jeu original. Donc si vous souhaitez jouer à un jeu nintendo sans acheter la console requise, tout en restant parfaitement honnête, vous pouvez vous contenter d'acheter le jeu, et l'utiliser en version téléchargée pour y jouer sur PC.
Les gens emploient toutes sortes d'arguments pour tenter de justifier le téléchargement illégal. Il est commun d'entendre, notamment, que les biens "culturels" devraient être gratuits. Inutile de dire qu'à mon sens ces arguments sont hypocrites... Certains font également remarquer que lorsqu'on achète un bien d'occasion, le créateur de ce bien ne reçoit pas d'argent. C'est vrai, mais il n'empêche que le premier acheteur a payé. À cet égard, j'avoue que les tentatives pour supprimer le marché d'occasion (ou le taxer) relèvent de l'avarice et de l'abus pur et simple. Dans le monde des jeux vidéos PC (et parfois même de certains DVD), on doit maintenant télécharger ses jeux sur steam et d'autres plateformes : en d'autres termes les jeux qu'on achète en magasin ne sont plus que des boîtiers avec un code. Il s'agit là d'un phénomène problématique, lié également à la dématérialisation de l'économie.
Au cas où vous auriez pratiqué le téléchargement illégal, j'ignore si vous êtes tenus à restitution (spécialement en achetant le jeu, film, livre concerné), étant donné qu'il s'agit d'une question controversée. Tout ce que je peux dire c'est que cette pratique est douteuse.
Certains jugeront peut-être que je suis moins rigoureux sur la question de la moralité des jeux que sur l'usage du mariage ; mais c'est normal, pour plusieurs raisons :
-L'acte de génération, et notre corps lui-même, sont sacrés : donc nous devons respecter à la fois notre corps et cette faculté de procréer, dont les anges eux-mêmes sont dépourvus.
-L'impureté est le péché qui damne le plus grand nombre d'âmes, à cause de sa dangerosité ; les plaisirs terrestres autres que la sexualité, par exemple la bonne chair ou les jeux, sont moins dangereux pour l'âme.
-L'excès de sévérité dans le domaine des amusements récréatifs favorise l'apostasie ; et l'Église a toujours veillé a conserver à cet égard une attitude tolérante, contrairement aux protestants fanatiques (spécialement Calvin) : voyez notamment la biographie de Saint François de Sales par Aimé Richardt. De nombreux parents tradis sont sévères sur ce point, tout en étant beaucoup plus laxistes dans leur langage et dans l'usage du mariage (ainsi que sur la tenue vestimentaire) : en d'autres termes leur sévérité ne porte pas là où elle devrait porter ; et parfois c'est cause de l'apostasie de leurs enfants (ou d'eux-mêmes). Il y a peu quelqu'un me l'a bien résumé en me disant : "dans la Fraternité Saint Pie X les prêtres sont mous et les époux sont durs."
D'autant plus que le but des distractions est précisément d'alléger le fardeau de la vie (parfois bien pénible à supporter)...
Dans l'une de mes vidéos j'ai utilisé un jeu médiéval de façon scénarisée, et l'un de mes amis et lecteurs me l'a reproché par courriel, en parlant comme si les jeux vidéos avaient un caractère peccamineux systématique. Je lui ai alors demandé si il était né dans une famille tradi. Sans surprise, il m'a répondu que oui.
Notez que pour réaliser une toile de maître il faut un seul homme (certes doué) et tout au plus quelques mois de travail (souvent moins) : tandis que pour réaliser un jeu vidéo perfectionné avec des graphismes dernier cri, il faut une équipe de plus de cent personnes, et plusieurs années...